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Interview de Monica Kapipiri, consultante et formatrice ‘AWARD’, sur la place des femmes africaines dans la recherche et le développement agricoles.

Monica Kapipiri est une consultante ougandaise qui a plus de 20 ans d’expérience dans le domaine de la formation. Elle fait partie de l’équipe de formateurs de l’organisation ‘African Women in Agricultural Research and Development (AWARD)’ et forme au leadership, au mentorat et au coaching, aux compétences scientifiques, aux négociations et à l’intégration du genre. Elle a travaillé avec des ONG locales et internationales, des organismes de recherche et des agences gouvernementales, notamment l’Union européenne, le FARA, CARE International, RUFORUM, USAID et la Banque mondiale.  Dans cette interview, elle nous donne son avis sur la place des femmes africaines dans la recherche et le développement agricoles.

 

Vous êtes titulaire d’un master en sciences de l’environnement et gestion des ressources naturelles, facilitatrice de développement, mentor et coach, et votre objectif de vie est de donner aux communautés rurales d’Afrique les moyens de libérer leur potentiel de développement. Comment liez-vous ces éléments. 

En tant que facilitatrice du développement, mentor et coach, je reconnais le rôle des autres. L’Afrique étant énorme et extrêmement diverse, vous ne pouvez pas l’atteindre seule. Mais si vous travaillez avec d’autres personnes, vous pouvez accomplir beaucoup de choses. J’investis donc dans d’autres personnes, chaque fois que j’ai l’occasion d’atteindre leurs communautés pour promouvoir le développement économique, la gestion durable des ressources naturelles, l’atténuation du changement climatique. En tant que consultante indépendante, je travaille avec toutes sortes de personnes, dans divers secteurs, et je fais en sorte qu’elles commencent à penser aux communautés rurales, aux populations vulnérables, et à la manière d’aider l’Afrique à exploiter son potentiel. Le potentiel est là. Il s’agit maintenant d’aider d’autres personnes à le voir et à le libérer.

Pourquoi est-il crucial d’inclure davantage de femmes dans la recherche agricole pour le développement et quels sont les principaux arguments en faveur d’une recherche agricole plus sensible au genre ?

Ce n’est pas que les femmes ne sont pas impliquées ; elles le sont et peuvent même être plus nombreuses que les hommes. Le problème est que la majorité d’entre elles se trouvent au bas de l’échelle. Elles sont les assistantes de recherche, les ouvrières des parcelles pour les essais de terrain des institutions de recherche, celles qui trient les semences… Elles sont là, mais lorsqu’il s’agit de s’asseoir à la table de décision pour choisir les recherches à mener, les priorités à privilégier, c’est là que le fossé se creuse. Je ne dis pas que les hommes ne peuvent pas concevoir des recherches tenant compte du genre. Ils le peuvent et certains le font, mais la majorité d’entre eux n’est pas formée pour voir les identités multiples qui font que certaines personnes loupent des opportunités. Les femmes ont tendance à rechercher la diversité, alors que les hommes ont tendance à rechercher l’homogénéité/l’uniformité. Cette différence apparemment minime fait toute la différence et c’est pourquoi la présence d’hommes et de femmes aux tables de décision rendra la recherche plus riche. 

Quels sont, selon vous, les principaux obstacles à une plus grande participation des femmes à la recherche agricole ?

Comme je l’ai dit, ce n’est pas que les femmes ne participent pas en grand nombre, c’est le niveau auquel elles s’engagent. L’obstacle sous-jacent est la socialisation, le processus d’apprentissage et d’intériorisation des normes de genre attribuées à des individus ou à des groupes de personnes, selon que nous sommes nés hommes ou femmes. La socialisation se produit tout au long du cycle de vie, dès qu’une femme tombe enceinte et que les gens commencent à porter des jugements sur le désir d’avoir un garçon ou une fille, et sur la vie appropriée pour chaque enfant. Le genre est une construction sociale prescrite, c’est-à-dire des rôles, responsabilités, attentes, caractéristiques, comportements, droits, privilèges et même exclusions préétablis. On dit “Oh, tu es une fille, tu ne peux pas faire ça”. Vous grandissez avec cela dans votre tête. Alors, quand vous vous mariez et que vous êtes une jeune femme, une jeune scientifique, quelle sera votre première allégeance ? Envers votre travail ou envers votre mari et sa famille ? Serez-vous fière d’être appelée la mère qui a réussi ou la chercheuse qui a réussi ? En raison de cette socialisation, la plupart des femmes remettent à plus tard l’obtention de leur master, de leur doctorat, jusqu’à ce que leurs enfants soient assez grands. Mais à ce moment-là, certaines d’entre elles sont parfois trop âgées pour obtenir des bourses. C’est pourquoi elles restent au bas de l’échelle ou abandonnent.

Comment une approche participative peut-elle contribuer à une meilleure compréhension de la réalité du genre dans l’agriculture et à un meilleur travail de recherche ?

Par exemple, j’ai apporté un soutien à un programme de recherche universitaire travaillant sur le manioc, un aliment de base pour l’est et le nord de l’Ouganda. Le manioc était attaqué par des virus qui menaçaient de l’anéantir. Les chercheurs avaient donc sélectionné et diffusé un certain nombre de variétés de manioc. Dans le cadre de ce programme, des agriculteurs ont reçu quatre variétés, considérées comme très bonnes. Ils les ont cultivées, les ont mangées, puis on est revenu pour savoir laquelle ils voulaient.

Au lieu d’écouter les critères des chercheurs (“il est résistant”, “il pousse très vite”…), j’ai demandé aux agriculteurs d’énumérer leurs propres critères et ils ont proposé 24 caractéristiques, y compris la brillance des feuilles ! Il y avait une variété que les chercheurs aimaient beaucoup et pensaient pouvoir faire adopter. Les femmes ont dit que cette variété était comme un bel homme qui arrive avec de belles chaussures de luxe. Mais quand il enlève ses chaussures, on se rend compte que c’est un lépreux sans orteils ! Pour elles, cette variété avait de très bonnes caractéristiques dans le champ, au niveau des tubercules, mais lors de sa transformation (nourriture, farine), elle s’est avérée pauvre. A l’arrivée, les hommes et les femmes ont choisi la même variété: les femmes parce qu’elle était bonne pour la nourriture, les hommes parce qu’elle était bonne pour la vente, notamment aux brasseries. Cette variété pèse plus lourd, même une fois séchée. Une approche participative aide donc à connaître le point de vue des gens. Qu’est-ce qu’ils recherchent? Ensuite, lorsque vous concevez votre projet en fonction de ce qu’ils veulent, ils l’adopteront sans réserve.

Vous avez une longue expérience en tant que formatrice AWARD. Comment des organisations comme AWARD font-elles la différence pour les femmes africaines impliquées dans la recherche et le développement agricoles ?

Si je peux m’exprimer simplement, c’est en les aidant à écrire un autre scénario sur leur vie. Leur propre scénario. Et ensuite à le jouer.

Vous leur apprenez à obtenir des fonds, à rédiger des publications et des propositions scientifiques, mais aussi à se comporter différemment, et à combattre les préjugés. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette dimension psychologique de vos formations et sur l’importance des modèles pour les femmes dans le domaine scientifique ?

Pour que les femmes puissent gravir les échelons et devenir des leaders, elles doivent se comprendre et s’accepter, ainsi que les personnes qu’elles dirigent. La plupart des formations scientifiques classiques dispensées dans les collèges et les universités n’abordent pas la psychologie et les savoirs comportementaux. C’est pourquoi, dans nos formations, les femmes passent un test de personnalité, le MBTI ou Personality plus. Il y a un dicton que nous adorons : “Il n’y a rien qui cloche chez moi, je ne suis simplement pas toi”. L’évaluation MBTI aide les femmes à réaliser qu’il existe 15 autres types de personnalité en plus du leur. Ainsi, elles deviennent plus accommodantes, elles commencent à chercher des moyens de travailler avec la diversité, au lieu d’essayer de changer les gens pour qu’ils soient comme elles. C’est un grand pas en avant ! Outre cette sensibilisation à la personnalité, nous les formons également à l’influence stratégique, au genre et au réseautage. Et enfin, les femmes doivent organiser un événement offrant à d’autres femmes un modèle d’inspiration. C’est souvent le premier d’une longue série d’événements de ce type. Certaines sont retournées dans leurs écoles primaires et secondaires pour encourager davantage de filles à s’intéresser aux sciences. D’autres sont allées voir des agricultrices pour les encourager à investir davantage dans l’agriculture en tant qu’activité commerciale, et ainsi de suite.

Quelles sont les évolutions les plus positives que vous avez constatées ces dernières années pour les femmes impliquées dans la recherche et l’innovation agricoles ?

Les histoires sont nombreuses ! En tant que formateurs, notre interaction avec les femmes reste limitée après la formation. Cependant, en 2016-17, j’ai participé à ce que l’on appelait des réunions régionales. C’est là que les femmes viennent après deux ans de mentorat, et racontent leurs histoires. J’ai pleuré, et je me suis dit “Oh mon dieu, ça marche”. Par exemple, il y avait une très jeune fille du Nigéria, titulaire d’un baccalauréat en sciences. Sur sa feuille de route, sa vision  était de changer la vie de 20 000 femmes et jeunes au Nigeria. Au moment de la réunion régionale, elle avait déjà rédigé des propositions gagnantes, obtenu de l’argent et travaillait avec des femmes et des jeunes.  Une autre femme, qui venait d’obtenir son doctorat, a réussi à collecter des fonds pour un laboratoire de biotechnologie de pointe au Ghana, une grande réussite pour l’université. Normalement, il lui aurait fallu quatre ans de publications, d’enseignement et de collecte de fonds pour obtenir le titre de professeur. Avec le laboratoire de biotechnologie comme principal résultat, elle a mis à profit ses compétences en matière de négociations, sa persévérance et son assurance, pour obtenir ce poste au bout de deux ans !

 

Pour une femme qui souhaiterait se lancer dans une carrière dans la recherche agricole, que conseilleriez-vous en quelques mots ?

Allez-y ! Mais vous devez avoir la passion, des objectifs clairs, être prête à construire des réseaux essentiels pour ne pas être isolée. Vous devez travailler dur, et vous réussirez !