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Interview de Benjamin Roche (IRD) sur l’initiative internationale PREZODE

Benjamin Roche est directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), conseiller scientifique One Health/Une seule santé de la présidente de l’Institut et spécialiste des interactions entre biodiversité et maladies infectieuses. Il est aussi, avec Marisa Peyre (CIRAD) et Jean-François Soussana (INRAE), l’un des trois coordinateurs de l’initiative internationale PREZODE (Preventing Zoonotic disease emergence/Prévenir les risques d’émergences zoonotiques et d’épidémies), lancée par ces trois instituts en janvier 2021. Il nous parle, entre autres, de l’approche One Health (Une seule Santé), de la COVID-19, de l’originalité de PREZODE, et de la manière dont les chercheurs et les innovateurs des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique peuvent participer à l’initiative.

 

Avant de parler de PREZODE, pourriez-vous nous rappeler en quelques chiffres la part des maladies infectieuses – plus particulièrement des maladies émergentes- d’originale animale chez l’homme ?

Depuis le début des années 80, on constate une augmentation très forte du nombre de maladies infectieuses émergentes. La première a été le VIH, puis il y a eu les premiers SARS, les SARS coronavirus en Chine en 2003, MERS coronavirus dans les années 2010 dans la péninsule arabique. On a eu des crises de grippe aviaire à répétition, le Zika, le Chikungunya, la dengue… On se rend compte depuis le début des années 80, que les maladies infectieuses qui touchaient avant les populations humaines ont tendance à avoir un poids moindre – bien que le paludisme fait encore 500 000 morts par an, et la tuberculose autant- et qu’on est entré dans l’ère de l’émergence des maladies infectieuses. Et avec un monde de plus en plus connecté, maintenant quand on a une émergence quelque part dans le monde, ça peut tourner très rapidement en quelque chose de global, ce qu’on a vu avec la COVID 19 : quelques cas de pneumonie atypique en Chine en décembre 2019 ont mis la quasi-totalité de la planète en confinement à peine quatre mois plus tard. Plus de 75% de ces maladies infectieuses émergentes sont des zoonoses, autrement dit, des pathogènes qui circulent d’abord chez les animaux et qui vont avoir tendance à sauter chez l’homme et à s’adapter à ce nouvel hôte, pour arriver à se propager de façon efficace chez l’homme. Juste pour vous donner un ordre d’idée, en termes de potentiel, aujourd’hui, on estime qu’il y a environ un 1 500 000 virus qu’on ne connaît pas, dont entre 500 000 et 800 000 qui peuvent toucher l’homme. Et ça, c’est pour les virus, car il y a aussi les bactéries et les parasites.

 

Quels sont les principaux facteurs qui peuvent expliquer leur multiplication ces dernières années. Vous avez notamment beaucoup travaillé sur le lien entre biodiversité et épidémies…

Oui, on se rend compte qu’il y a beaucoup de facteurs liés aux activités humaines, notamment le commerce de la faune sauvage, la déforestation, l’urbanisation, qui ont en commun d’impacter le fonctionnement des écosystèmes. Or, dans les écosystèmes, il y a beaucoup de microbes qui circulent. Et quand on perturbe ces réseaux d’interactions, ils vont se remettre en place de façon différente. Par exemple, il y a un effet sur lequel j’ai pas mal travaillé, c’est l’effet de dilution. On se rend compte qu’en fait, quand on a une forte biodiversité, donc beaucoup d’espèces, on a quelques espèces qui peuvent transmettre les microbes et d’autres non. Or, quand on perd la biodiversité, on va perdre ces espèces qui ne peuvent pas les transmettre, qui servent de frein à la transmission des microbes dans les écosystèmes, et donc en enlevant le frein, les microbes se transmettent plus facilement dans les écosystèmes. Par ailleurs, les activités qui impactent la biodiversité, comme la déforestation, ou l’urbanisation, mettent de plus en plus les populations humaines en contact avec les populations animales, elles-mêmes de plus en plus infectées. Donc, on a un cocktail parfait pour qu’effectivement, il y ait plus de populations humaines exposées à ces différents agents pathogènes et qu’il y ait une augmentation de la probabilité d’émergence d’épidémies. 

 

 

De quelle manière la pandémie liée à la COVID 19 a souligné l’importance d’une approche One Heath (Une seule santé). Et y aura-t-il selon vous un avant et un après COVID en la matière? 

 

On l’espère, oui, on le pense quand même. Il y a beaucoup de choses qui ont été lancées sur ces aspects One Health. Il faut aussi développer des stratégies de prévention.  Jusqu’à maintenant, on avait une approche très santé publique, humaine. Etre mieux préparés quand les pathogènes vont arriver dans les populations humaines.  Ces aspects de préparation sont bien sûr très importants, mais souvent, ce qui va émerger, c’est quelque chose qu’on n’aura pas prévu. Donc, c’est important de combiner ces aspects de contrôle, avec des aspects de préparation et des aspects de prévention. De faire en sorte que les pathogènes circulent moins dans les écosystèmes et/ou que les populations humaines soient de moins en moins en contact avec ces populations animales infectées.

 

Pourriez-vous nous rappeler en quelques mots l’approche one Heath?

Au départ, c’était pour connecter la santé humaine et la santé vétérinaire. Puis, petit à petit, d’autres concepts ont emergé, Eco Health, Planetary Health, Global Health. Aujourd’hui, le terme One Health est utilisé plus largement, et inclut le fait que la santé animale est reliée à la santé environnementale, qui est reliée à la santé humaine et réciproquement. Donc, ces trois santés-là sont intégrées, interagissent les unes avec les autres ;  il faut les considérer dans leur ensemble et ne pas se focaliser que sur l’homme. 

 

Il y a pas mal d’initiatives aujourd’hui qui s’inspirent de l’approche One Health. Comment l’initiative PREZODE se démarque-telle des autres initiatives?

D’abord sur les priorités. On favorise l’amélioration des réseaux de surveillance One Health, aussi bien faune domestique que faune sauvage, souvent oubliée, et les aspects humains. Améliorer la surveillance à leur interface, et développer des approches de prévention. Je pense qu’il n’y a que PREZODE qui le fait : arriver à comprendre comment on peut gérer et concevoir des socio écosystèmes, avec toutes leurs dimensions sociétales, socio-économiques et culturelles, qui soient plus résilients à l’émergence de zoonoses et permettent vraiment de diminuer l’exposition des populations humaines. Voilà les priorités, quant à l’approche, on a une initiative guidée par la science, c’est important de le souligner car ce n’est pas toujours le cas et surtout, c’est une initiative de co-construction avec toutes les parties prenantes. Depuis un an, on a fait des ateliers de co-construction dans le monde entier, dans 10 régions. On a mis autour de la table les différents acteurs des différents secteurs–santé humaine, santé animale, santé environnementale, recherche académique, ONG, autorités ..-, pour identifier les problèmes, les connaissances manquantes et comment on peut résoudre ces problèmes, pour co-construire  vraiment les solutions avec tous les acteurs, en partant du local vers le global. C’est l’approche qui caractérise PREZODE et on est vraiment les seuls à la développer. 

 

 

Qu’avez-vous fait depuis le lancement de l’initiative, quels sont vos principaux acquis et les prochaines étapes prévues? 

PREZODE est une initiative qui a été lancée par le président de la République française  lors du One Planet Summit l’année dernière. Même si l’initiative a été lancée par la France, c’est vraiment une initiative internationale. Et depuis un an, sept gouvernements ont rejoint l’initiative- le Mexique, la Belgique, le Zimbabwe, le Vietnam, le Cambodge, Costa Rica, et la France, bien sûr. On a aussi plus de 90 instituts de recherche de santé et d’ONG qui ont signé la déclaration de support à l’initiative. Et on a fait ces ateliers de co-construction.  Donc, on est vraiment dans une initiative internationale. La France a initié le premier financement de 60 millions d’euros, ce qui n’est pas négligeable. 30 millions d’euros pour la recherche académique et 30 millions d’euros pour l’aide au développement au travers de projets AFD. On est en train de démarrer la première tranche de projets sur ce budget AFD. On a aussi fait connaître l’initiative à l’international. On a participé au congrès de l’UICN, au One Health Summit, au sommet Afrique-France.. On va bien sûr continuer à accélérer l’internationalisation de l’initiative. On va organiser des ateliers scientifiques dans un mois pour affiner le calendrier de recherche de l’initiative. Et avec toute cette matière, on va écrire un agenda stratégique de recherche qu’on soumettra à la gouvernance intérimaire de l’initiative qui est composée des différents instituts et gouvernements signataires. Une fois cet agenda stratégique validé, ce sera un peu la feuille de route de l’initiative pendant les 5 -10 prochaines années. Et donc on rentrera dans la gouvernance internationale de l’initiative à la fin de l’année, où tous les différents pays pourront participer au financement et aux activités de l’initiative.

 

Comment les chercheurs et innovateurs des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique peuvent-ils participer à votre initiative et à quels niveaux?

Ils ont déjà beaucoup participé aux ateliers de co-construction. En tout et pour tout, sur les 10 régions, on a eu plus de 1000 personnes qui ont participé, de plus de 50 pays, donc normalement ils ont déjà fait entendre leur voix sur ces différentes questions de recherche qu’on doit aborder. Ensuite, effectivement, c’est, comme je le disais, une initiative internationale. Donc, il faut aussi mobiliser les chercheurs et les différents acteurs pour que leurs gouvernements, leurs instituts puissent participer à l’initiative PREZODE : ça peut être via l’animation scientifique de PREZODE par les différents comités régionaux qui vont se mettre en place un peu partout dans le monde avec la gouvernance intérimaire. Il faut être signataire de l’initiative PREZODE pour y participer, mais ce n’est pas du tout contraignant ou engageant, c’est juste un accord de principe d’intérêt. Après, on est en discussion avec différents bailleurs américains et internationaux, européens. Il va falloir mettre en musique cette initiative PREZODE dans les différents pays. Et là, ce sera tout le rôle des chercheurs et des acteurs locaux, soit de mobiliser les financements à l’intérieur de leur pays, soit de venir voir les différents financements qui pourraient être attribués à l’initiative PREZODE pour implémenter ces différentes actions de façon locale.  Au cours de l’année, les différents instituts et pays signataires de l’initiative seront tenus au courant. Des annonces publiques seront faites sur le site Internet de PREZODE (www.prezode.org), et via les canaux traditionnels. 

 

Quels sont les principaux défis à relever pour que l’initiative PREZODE puisse réussir? 

Il y a toujours la question des financements. Pour l’instant on a 60 millions d’euros. Notre objectif cette année est d’atteindre les 200 millions d’euros pour les cinq prochaines années, avec les différents bailleurs. Un autre point crucial, c’est que cette initiative soit vraiment appropriée par les différents acteurs, les différents chercheurs un peu partout dans le monde. Il y a des gens qui commencent à se qualifier de « prezodiens » ce qui nous fait plaisir. On voit que l’originalité de l’initiative est bien comprise. Toutes les organisations internationales ont salué l’initiative. Maintenant, ce qu’il faut, c’est que les différents acteurs se l’approprient et qu’on arrive au moins à développer des choses sur le terrain, parce que c’est là vraiment où ça va se jouer.

 

Dernière question, quels liens faites-vous entre maladies émergentes et changement climatique ?

Il y en a clairement, après ça dépend beaucoup des maladies. Il y a des choses assez claires, par exemple sur le paludisme, le choléra, les maladies qui impliquent beaucoup l’environnement. Après, ce qui est intéressant, c’est de voir les interactions entre tous ces changements globaux, la perte de biodiversité va accélérer le changement climatique, qui va accélérer la perte de biodiversité. Le changement climatique et les émergences de maladies infectieuses sont des manifestations différentes, mais du même processus à la base, qui est l’impact de l’homme sur les écosystèmes. On ne pourra pas combattre les pandémies, si on ne combat pas le changement climatique et réciproquement. Donc, il y a des interactions à faire entre les différentes communautés scientifiques, de décideurs.  La pandémie doit être un signal de réveil.