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Entretien avec Heide Hackmann, directrice par intérim de l’institut de recherche  “Future Africa”

Dans la perspective de notre prochain débat sur la science de la durabilité, une voix innovante, celle du Dr Heide Hackmann, diplomate scientifique, conseillère et responsable de politique scientifique internationale. Ancienne directrice générale du  Conseil international des sciences, elle est aujourd’hui directrice par intérim de l’institut de recherche « Future Africa » (qui est également une plateforme panafricaine). Cet institut est basé dans son pays natal, l’Afrique du Sud, où elle est revenue récemment après une trentaine d’années passées à l’étranger.

 

Comment définiriez-vous l’ADN de l’Institut ‘Future Africa’ en quelques mots ?

Je dirais qu’il s’agit de développer puis de libérer le potentiel transformateur de la science africaine, des sciences car nous voulons dire toutes les sciences, au profit des sociétés africaines.

Vous avez passé près de 30 ans à l’étranger et êtes revenue récemment en Afrique du Sud. Quels changements majeurs avez-vous constatés dans le paysage africain de la recherche et de l’innovation?

N’oubliez pas que je ne suis rentrée que depuis trois mois. Mais si je réfléchis davantage du point de vue de mes précédentes reposnsabilités dans l’arène mondiale, et également de ce que j’ai vu au cours des trois derniers mois de retour en Afrique, je dirais qu’en dépit de la nécessité générale de poursuivre le développement des capacités et des investissements dans la science et la technologie sur le continent, ce qui me semble intéressant, c’est la reconnaissance croissante du besoin réel de collaboration panafricaine, qui correspond également au mandat de « Future Africa ». D’un point de vue global, je pense que nous assistons à une reconnaissance non seulement de l’excellence scientifique sur le continent, mais aussi du fait que la science africaine doit avoir une voix égale dans l’arène mondiale. Ainsi, l’accent mis sur l’établissement de partenariats mondiaux transformateurs, ouverts, inclusifs et diversifiés, constitue, selon moi, une dualité intéressante de développement, pour le continent et pour le bénéfice mondial.

 

Vous avez dit un jour que tous les défis mondiaux contemporains étaient transnationaux et nécessitaient la contribution, l’expertise et l’influence du monde entier, et que l’Afrique avait beaucoup à offrir. Que peut apporter l’Afrique au reste du monde ?

Je pense que, quel que soit l’endroit où l’on se trouve dans le monde, les solutions globales nécessitent une compréhension contextuelle,  historique. C’est donc un élément vraiment important pour la science africaine : il s’agit de contribuer à cette compréhension contextuelle, afin de contribuer plus efficacement aux solutions mondiales. Mais au-delà de cela, je pense qu’il existe des perspectives, des approches et des méthodes particulières en Afrique, concernant les questions de bien-être, de connectivité de l’humanité, de relation entre l’homme et la nature, d’implication des communautés dans la science et la durabilité, qui sont uniques à l’Afrique et dont nous devons tirer des enseignements. Il faut les partager dans le cadre de notre recherche de solutions. Bien sûr, il existe aussi une excellente science sur le continent et cette science est reconnue au niveau mondial. Nous ne devons donc pas l’oublier. Enfin, l’Afrique a une très grande population jeune. Et si nous considérons les jeunes comme des agents du changement, à la fois dans la science et dans la société, alors l’Afrique a beaucoup à offrir.

L’institut “Future Africa” accueillera dans quelques jours le deuxième congrès sur la recherche et l’innovation en durabilité. Quelle est l’ambition de cet événement ?

Il s’agit d’événements mondiaux annuels, qui réunissent vraiment une communauté transdisciplinaire, en d’autres termes, une communauté multipartite d’experts, d’universitaires, de chercheurs et de praticiens de la science de la durabilité. Et je pense que l’objectif principal de ces événements est, d’une part, de faire progresser les connaissances sur la science de la durabilité et de les partager, mais aussi, grâce à des approches transdisciplinaires, de préconiser des actions. L’heure est à l’action, comme nous le savons tous. Il s’agit donc d’un événement important, et nous devons veiller à ce que l’accent soit mis sur les solutions, les actions. Le temps presse. Que pouvons-nous faire dans le contexte actuel pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD)? Nous devons comprendre quelle science nous pouvons encore mener à l’heure actuelle pour garantir la réalisation des ODD.

A ce sujet, quels sont les principaux défis à relever en Afrique pour exploiter le potentiel de la recherche et de l’innovation en durabilité afin d’atteindre les objectifs de développement durable ?

Je pense que nous avons abordé certains d’entre eux, mais je dirais, avant tout, qu’il s’agit d’investir dans la science et la technologie. Cela reste un problème crucial sur le continent pour de nombreux pays. Mais au-delà de cela, vous savez, cette notion de collaboration panafricaine vise également à défragmenter nos efforts. Il existe des poches de communautés scientifiques qui travaillent ensemble, mais sur des fronts et des initiatives disparates. Si nous pouvions d’une manière ou d’une autre coordonner, défragmenter ces efforts et favoriser une collaboration plus significative sur le continent, je pense que cela serait extrêmement utile. Beaucoup d’initiatives vont aujourd’hui dans cette direction. Par exemple, avec Future Earth, vous savez, la bonne nouvelle est que l’Afrique du Sud accueillera un centre mondial panafricain pour le secrétariat de Future Earth. Le prix a été décerné à la Fondation nationale pour la recherche (d’Afrique du Sud) qui a soumis la proposition. L’une de ses ambitions est de défragmenter la communauté scientifique travaillant sur la durabilité, de l’élargir évidemment, mais aussi de la défragmenter, de la coordonner, et d’encourager la collaboration, afin que la science africaine en durabilité ait une voix plus forte dans l’arène mondiale. L’intégration complète dans l’arène mondiale est l’autre élément dont la science africaine a besoin. J’entends par là des partenariats transformateurs, une intégration complète dans des conditions d’égalité, de respect mutuel et une ouverture pour bénéficier de la diversité des connaissances et des perspectives que l’on trouve sur le continent.

La transdisciplinarité est l’un des mots clés qui guident votre mission. Quelle place accordez-vous aux systèmes de connaissance autochtones en général et en particulier au sein de votre institut ?

Vous savez, en tant que plateforme transdisciplinaire, nous pensons que tous les systèmes de connaissance peuvent participer. Mais je pense que ce qui est important, c’est que nous devons favoriser une transdisciplinarité appropriée. En d’autres termes, les personnes que vous impliquez au-delà du milieu universitaire dépendent du problème que vous avez à résoudre.  Il est clair que les communautés autochtones ont leur importance sur de nombreux sujets, dont deux qui sont en tête de l’agenda de “Future Africa” : les systèmes alimentaires durables et les approches One Health. Et, vous savez, les communautés autochtones ont une voix, des perspectives et des idées qui sont précieuses. Mais il faut aussi se demander comment définir les connaissances autochtones. Est-ce le praticien ? Une personne qui travaille dans une mine ? Dans l’industrie ? Vous savez, c’est aussi ça un savoir local tacite. Nous croyons donc à la diversité et à l’inclusivité des connaissances et des processus de production, du moment qu’ils sont adaptés au problème à résoudre.

© EULAC Focus project

Après votre départ du Conseil international des sciences, une bourse internationale a été créée en votre honneur et baptisée “The Heide Hackmann International Science Policy and Diplomacy Fellowship”. Cette bourse sera lancée d’ici la fin de l’année. Comment se porte la diplomatie scientifique aujourd’hui ?

C’est une question difficile. Vous savez, il existe différentes interprétations de la diplomatie scientifique. Mais, que l’on parle de diplomatie pour la science, de science pour la diplomatie ou de science dans la diplomatie, elles sont toutes importantes. Je dirais que si l’on pense à ce qui se passe dans le monde aujourd’hui, au nouveau contexte géopolitique dans lequel nous évoluons en raison d’une nouvelle guerre, on peut dire que la diplomatie scientifique est plus importante que jamais. Et c’est vraiment cette collaboration entre la science et le travail diplomatique qui permet de créer un monde meilleur. La diplomatie scientifique est au cœur de l’ambition de faire progresser la science en tant que bien public mondial. Et c’est une chose que Future Africa chérit également. La diplomatie scientifique est inhérente à notre travail de promotion de la collaboration sur le continent et entre l’Afrique et le reste du monde. Il existe une communauté de Conseils  subventionnaires de la recherche scientifique qui ont mis la diplomatie scientifique à l’ordre du jour, ce qui est très encourageant. Je ne suis pas au courant de programmes de formation spécifiques, mais c’est une idée intéressante pour nous, au niveau panafricain, de les développer, car c’est vraiment fondamental. Il existe de bonnes traditions en matière de formation à la diplomatie scientifique ailleurs dans le monde, dont nous pouvons nous inspirer, tout en développant notre propre version africaine.

Vous dîtes qu’il n’y a pas de lieux de formations à la diplomatie scientifique sur le continent ?

Je n’en connais aucun, mais corrigez-moi si je me trompe. Il existe, bien sûr, sous l’égide du Conseil international des sciences, un réseau international de conseillers scientifiques gouvernementaux. Et ce réseau a une branche africaine, qui est présidée par le chef de l’Académie nigériane. Et je pense qu’il est juste de dire qu’une grande partie du travail effectué par ce réseau comporte également des éléments clairs de diplomatie scientifique. Ils disposent également d’un réseau de conseillers auprès des ministres des affaires étrangères. Il existe donc des initiatives en Afrique, mais elles doivent être renforcées et nous essaierons de les aider dans une perspective panafricaine.

Si quelqu’un vous demandait quelles sont les compétences clefs pour être un bon diplomate scientifique, que lui répondriez-vous ?

Quelles seraient les priorités ? Je dirais l’humilité. Sur son rôle en tant que scientifique et sur ce qu’est le rôle approprié, à la fois en tant que conseiller scientifique et dans un cadre diplomatique. Et l’ouverture d’esprit à la collaboration, à l’inclusion, aux contextes culturels.