Directrice de l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD), Cécile Martin-Phipps représente l’Organisation internationale de la francophonie à la 6ème édition du One Forest Summit, qui se déroule à Libreville, au Gabon, du 1er au 2 mars 2023. Ce sommet international, à l’initiative du Gabon et de la France, vise à faire progresser l’ambition collective des pays concernant la préservation et la gestion durable des forêts, qui sont essentielles pour relever les défis liés notamment au changement climatique et la perte de biodiversité. Elle nous parle des enjeux de ce sommet, du Bassin du Congo et du projet PDTIE que pilote l’IFDD dans deux pays de la région, le Cameroun et la République démocratique du Congo.
Pourriez-vous, en quelques mots, nous résumer les enjeux de ce sommet?
Ce sommet a un triple enjeu. Il s’inscrit bien sûr d’abord dans l’atteinte des objectifs de développement durable d’ici 2030, également dans la mise en œuvre de l’accord de Paris (notamment en termes de financements innovants) et, dernier volet, c’est le Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal , un cadre ambitieux adopté en décembre dernier que les États doivent maintenant décliner en plans d’actions.
Ce sommet vise à protéger et gérer durablement les forêts tropicales qui représentent un écosystème très particulier. Est ce que vous pouvez nous rappeler l’importance de ces forêts, et plus particulièrement celles du bassin du Congo, une région dans laquelle l’IFDD intervient?
Le bassin du Congo est assez unique. C’est le second bassin forestier tropical du monde, après l’Amazonie, le «deuxième poumon vert» de la planète, dont l’écosystème est extrêmement riche. On parle de forêts, mais il faudrait parler aussi des tourbières, des mangroves, de toute la faune et de toute la flore, extrêmement riches. Cet écosystème a été peu étudié. La différence ici avec les autres forêts tropicales d’Asie et d’Amérique latine, qui sont toutes à des degrés de détérioration différents, c’est que, notamment au Gabon, mais aussi au Congo Brazzaville et en RDC, vous avez de grandes parties du territoire encore vierges. Du coup, toute la question est de savoir comment vous donnez un prix, une valeur à cette non-déforestation, sachant que dans notre système marchand capitaliste, on ne sait pas donner de prix à ce qu’on ne détruit pas.
L’IFDD pilote le projet de « déploiement des technologies et innovations environnementales pour le développement durable et la réduction de la pauvreté » (PDTIE), un projet conjointement soutenu par l’Organisation des Etats d’Afrique des Caraïbes et du Pacifique et l’Union européenne, dans le Bassin du Congo, plus exactement au Cameroun et en République démocratique du Congo. En quoi la recherche et l’innovation environnementale peuvent-elles changer la donne au niveau de la préservation et de la gestion durable des forêts?
Cette région est confrontée à une problématique à la fois environnementale et agricole. On a une industrie agroalimentaire locale inexistante, artisanale lorsqu’elle existe, qui a du mal à satisfaire les besoins, le marché national ou sous régional, avec d’importantes pertes post-récoltes, une disponibilité saisonnière des matières premières assez faible et une déconnexion des populations des cultures locales, au bénéfice de produits importés. Ce problème a été aggravé par la COVID-19 qui a conduit à une perte d’environ 75 % de la production des fruits et légumes. Avec pour conséquences, une recrudescence de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition infantile. Pourtant, on est dans une région où les sols sont très riches. L’objectif du PDTIE est de systématiser l’innovation auprès de centaines de jeunes. Les 20 meilleures innovations agroalimentaires sont en cours de maturation, dont une quinzaine en cours de brevetage. Quand on parle d’innovation, on parle souvent finalement de retour à des bonnes pratiques ancestrales, où on vient finalement chercher à la fois à protéger la biodiversité, mais également à répondre à un besoin alimentaire, tout en préservant le climat, tout en gérant avec économie l’eau et d’autres ressources. Et bien sûr aujourd’hui, on a des nouvelles technologies qui peuvent venir nous aider, que ce soit au niveau énergétique comme au niveau de la digitalisation. Parmi les innovations agroalimentaires, on trouve par exemple la fabrication d’emballages écologiques pour remplacer le plastique à partir des déchets agricoles. On a aussi la fabrication de machines pour réduire la pénibilité du travail agricole. Je vais vous citer par exemple des machines à récolter le manioc, qui est quand même très consommé ici, des chambres froides solaires, des unités de conditionnement automatiques, des équipements de stockage autonomes et intelligents. Il y a des pays aussi, des innovations qui sont là pour faciliter les tâches culinaires des femmes, par exemple, des farines africaines prêtes à l’emploi, des conserves modernes de plats africains. C’est des choses comme ça, où on se réapproprie un peu aussi le savoir-faire local. Et puis ça a trait aussi bien être des populations avec des suppléments alimentaires, des boissons amincissantes parce que vous avez une demande. Mais plutôt que de consommer made in America, on peut faire local et avec des produits endogènes. Il y a aussi la substitution des intrants, qui sont largement importées dans la fabrication des produits comme la bière. Ou encore la valorisation des technologies numériques pour améliorer la productivité agricole et la qualité des produits, par exemple un suivi agricole avec son téléphone portable. C’est tout simple, mais il fallait y penser. Pareil pour la certification du cacao. Il y a des centaines d’innovations ici. La population francophone est très vaste et 70 % a moins de 35 ans.
De quelle manière accompagnez-vous ces jeunes innovateurs ?
De deux façons. D’abord, on les accompagne à travers tout un cheminement à la construction de leur projet lui-même, jusqu’à la mise sur le marché, voire même jusqu’au brevet. En parallèle, on renforce les compétences de ces jeunes entrepreneurs ou innovateurs. Parce que l’idée, c’est vraiment de faire en sorte que tous les paramètres, tous les défis soient pris en compte. Je parlais du climat, de l’eau, de l’énergie, de la biodiversité. Généralement, on a un focus, c’est compartimenté et en silo parce que les financements viennent en silos également. Et du coup, l’idée pour nous est vraiment d’arriver à leur proposer une palette de formations, une soixantaine de métiers environnementaux qui leur permettent aussi d’avoir une vraie visibilité de ce qu’ils pourraient faire. Par exemple, je suis un agriculteur, je cherche à développer telle ou telle plante pour la consommation alimentaire dans mon pays. Mais tiens, si je pensais à des intrants endogènes et biologique, ce serait fabuleux. J’ai besoin d’eau aussi pour cette culture. Comment je veux l’amener? Est-ce que ça pourrait être du pompage solaire? Comment j’aimerais automatiser ma production, donner à la plante exactement ce dont elle a besoin. C’est à travers des outils numériques. Voilà, il y a plein de choses en fait, qu’on peut aborder de manière holistique.
Quels sont vos sentiments, vos attentes, à quelques heures de la fermeture de ce sommet One Forest auquel vous participez ?
Ces sommets, beaucoup les critiquent. Mais ce sont aussi des étapes extrêmement utiles. La Francophonie pour le développement durable englobe 88 États et gouvernements membres. C’est une opportunité de voir nos partenaires, que ce soit au niveau ministériel, ou des acteurs locaux, avec des jeunes entrepreneurs qui viennent de toute la sous-région, c’est extrêmement riche. Donc en ce sens, je trouve ce sommet réussi parce qu’il permet déjà d’avoir un brassage, de multiplier aussi des moments d’échanges pour faire atterrir aussi concrètement ces négociations. La communication est là aussi pour mettre en valeur aussi ce que peuvent faire les uns et les autres. Il y a un forum des affaires qui démarre tout à l’heure et qui permettra de mettre en avant des entreprises innovantes, des petites entreprises comme des grosses. Et je trouve ça très intéressant.