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Série spéciale d’entretiens sur la COP 27. Entretien avec Angelika Namdar sur le changement climatique, la planification urbaine et la résilience des communautés côtières dans les Caraïbes.

Angelika Namdar est une urbaniste et une spécialiste de l’aménagement du territoire qui a plus de 25 ans d’expérience dans divers domaines liés à l’urbanisme, à différents postes au Surinam, dans les secteurs privé et public. Actuellement, elle est maître de conférences en urbanisme et environnement à l’université Anton de Kom du Suriname, et elle est également directrice de la faculté de technologie de cette même université. En outre, elle est également active dans différentes associations. Elle est présidente de l’association des urbanistes du Suriname et secrétaire de l’association des urbanistes des Caraïbes. Elle fait également partie du conseil consultatif du réseau caribéen de gestion urbaine et foncière de l’université des Antilles. Nous discutons avec elle du changement climatique, de l’urbanisme et de la résilience des communautés côtières dans les Caraïbes.


Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les principales menaces que le changement climatique fait peser sur les communautés côtières des Caraïbes ?

Les principales menaces sont, à mon avis, l’élévation du niveau de la mer, qui entraîne également l’élévation des niveaux d’eau dans les différents fleuves et l’intrusion de sel plus en amont dans les fleuves et rivières. Nous avons une augmentation des précipitations, ce qui entraîne des inondations dans les zones côtières plates. Les ouragans sont plus nombreux et plus violents dans les Caraïbes, les saisons sèches plus longues et les saisons des pluies plus courtes, avec  une température moyenne des différentes saisons  peu plus élevée. Cela entraîne des changements et des dommages  au niveau des économies, des écosystèmes et des infrastructures. Et nous constatons que la population souffre socialement, émotionnellement et financièrement de ces dommages. ….

Pourquoi la planification urbaine est-elle si importante pour améliorer la résilience climatique d’une région comme les Caraïbes?

Parce qu’avec une planification urbaine appropriée, vous pouvez décider de l’usage des zones et ainsi réguler l’utilisation des zones vulnérables le long de la côte et des rivières. Dans le cas des zones déjà développées, la planification vous donne des outils pour prendre des mesures afin d’atténuer les menaces. Par exemple, la planification urbaine peut permettre de mettre en place un système de gestion des eaux et des stratégies d’entretien appropriés. Avec une bonne planification, vous pouvez par exemple développer des mangroves pour protéger les communautés contre les impacts de l’élévation du niveau de la mer.

Comment la recherche et l’innovation peuvent-elles contribuer à un urbanisme résilient au changement climatique ?

Je dis toujours que nous apprenons du passé et de notre environnement pour construire notre avenir. D’où l’importance de la recherche. Nous n’avons pas toujours été là. Mais nous savons que des choses et des évolutions se sont produites dans le passé. Il est donc important de se plonger dans le passé, de connaître les tendances du développement et de savoir quelles mesures ont été prises dans quelles circonstances. Et c’est là que les technologies peuvent nous aider à modéliser ces tendances en l’absence, par exemple, de données détaillées sur le passé. En tant que scientifiques, mais aussi en tant que dirigeants et citoyens, nous devrions étudier les leçons tirées d’autres époques aux circonstances presque similaires aux nôtres. En faisant tout cela, et en utilisant aussi la technologie et l’innovation, nous pouvons prédire ou modéliser les tendances futures et élaborer des politiques ou prendre des mesures en conséquence. C’est ainsi que nous pouvons, par exemple, développer des systèmes d’alerte précoce ou faire des prévisions à long terme sur les effets du changement climatique, ce qui nous permet ensuite de modéliser les plans d’occupation des sols et de retrouver facilement les victimes en cas de danger.

Et quels sont les domaines les plus prometteurs pour les chercheurs et les innovateurs des Caraïbes qui souhaitent renforcer la résilience des communautés côtières face au changement climatique ?

Permettez-moi de dire que la zone des Caraïbes est jeune, nous sommes vulnérables et même si tous les pays ne sont pas des îles, les économies sont petites et nous devons protéger nos pays. C’est pourquoi je pense que dans la planification, nous ne devons pas seulement nous concentrer sur la partie technique, mais nous devons également travailler à la mise en place d’institutions, de politiques et de réglementations plus fortes, par exemple en matière d’utilisation et d’enregistrement des terres. Et dans ce domaine, les chercheurs ont un rôle important à jouer, car ils peuvent aider les politiques locales à élaborer de meilleures stratégies. En outre, d’autres domaines prometteurs en matière de durabilité sont la modélisation et la projection de changements d’usage des sols, qui incluent les effets du changement climatique et les solutions fondées sur la nature.

Quelle est l’importance de ces solutions naturelles dans le renforcement de la résilience climatique ?

Je suis convaincue que les solutions fondées sur la nature sont la voie à suivre. Elles sont importantes pour protéger et restaurer nos écosystèmes naturels de manière durable. Dans la plupart des cas, elles sont moins coûteuses et, à long terme, elles nécessitent moins d’entretien et moins de technologie et d’intrants. Et je crois aussi, d’après mon expérience, que les populations locales sont la plupart du temps mieux préparées à participer au suivi de ce type de solutions.

L’Université Anton de Kom du Suriname participe au projet HIT RESET, qui est soutenu par le Fonds dACP pour l’innovation. Ce projet vise à exploiter des technologies innovantes pour permettre aux établissements côtiers de devenir plus résilients face au changement climatique dans les Caraïbes. Quel est, selon vous, le principal avantage d’un tel projet dans votre région ?

Il permet à nos pays d’apprendre dans une situation qui est plutôt nouvelle. Vous pouvez trouver des solutions dans les livres, mais toutes les solutions ne sont pas applicables dans toutes les circonstances. Et grâce à ce projet, il est possible d’en apprendre davantage sur l’efficacité des solutions et de choisir les meilleures solutions. Ces solutions sont appliquées dans certains cas et à partir de ces expériences, nous acquérons des connaissances qui sont ensuite effectivement partagées dans la région, par d’autres organisations et plateformes régionales. Par exemple, nous avons le Forum urbain annuel des Caraïbes, où des universitaires, des professionnels et des décideurs politiques se réunissent pour apprendre les uns des autres.

Les approches participatives sont considérées comme essentielles à l’élaboration de ces solutions innovantes. Quelle place occupent ces approches dans vos recherches et notamment dans votre laboratoire de planification sur le développement urbain durable ?

En tant qu’universitaires, nous appliquons des approches de consultation et de participation dans notre programme et dans nos projets. C’est l’une des principales méthodes de recherche que nous appliquons. Je dirais qu’au niveau régional, cette approche est également déjà appliquée professionnellement et, lorsque je regarde la réglementation de la décentralisation dans mon pays, le Suriname, elle a déjà sa place. Mais le défi est que nous avons parfois un manque de connaissances au niveau des parties prenantes, ce qui peut avoir une influence sur les résultats. Nous devons donc travailler un peu plus sur le partage des connaissances et des informations. Les personnes et les parties prenantes à tous les niveaux doivent donc être prêtes à contribuer de la meilleure façon possible.

Quels sont les principaux obstacles à surmonter si nous voulons accélérer la prise de décision fondée sur des données probantes dans la planification et la gestion des établissements côtiers au niveau de votre région ?

Dans mon pays, les principaux obstacles sont d’ordre politique, notamment liés aux approches descendantes du gouvernement central de Paramaribo vis-à-vis des initiatives locales. Nous devons reconnaître la force d’une approche ascendante pour faire face aux impacts du changement climatique. Les habitants et les communautés connaissent leur région et disposent de connaissances empiriques. Dans la plupart des cas, par exemple, les quartiers sont également organisés et possèdent une sorte de groupe social. Je pense donc qu’en les reconnaissant et en mettant à disposition, par exemple, des fonds de démarrage et des conseils d’experts, ces quartiers, organisations et autres associations et ONG peuvent avoir des impacts durables.

Pour terminer notre entretien, quel message voudriez-vous adresser à votre niveau, autour de la COP 27, du changement climatique et de l’urbanisme ?

En fait, il s’agirait d’un résumé de tout ce que j’ai dit, à. Nous devrions mieux écouter les populations locales et donner une meilleure place aux connaissances empiriques, impliquer les gens dans la prise de décision en leur confiant des responsabilités. Les gouvernements devraient également assumer une responsabilité financière. Et nous devrions reconnaître le droit des gens à bénéficier de conditions de vie saines.