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Interview d’Eunice Zola et Myriam Luzala,  deux jeunes scientifiques, à  l’occasion de la journée internationale des femmes et des filles de science

A l’occasion de la journée internationale des femmes et des filles de science, nous avons voulu interviewer deux jeunes scientifiques, Eunice Zola et Myriam Luzala. Elles ont 22 et 24 ans et sont respectivement en 5ème et 6ème année de sciences pharmaceutiques. Elles viennent d’être sélectionnées dans le cadre de l’appel à projets du Centre de recherche et d’innovation technologique en environnement et en sciences de la santé (CRITESS) de l’Université de Kinshasa, en République démocratique du Congo. Le CRITESS met en œuvre l’un des 6 projets tiers subventionnés par le Projet de Déploiement des Technologies et Innovations Environnementales pour le développement durable et la réduction de la pauvreté (PDTIE) financé par le Fonds ACP pour l’innovation.

 

Quels sont les sentiments qui vous ont animées en apprenant que votre projet d’innovation avait été sélectionné.

Myriam : C’était une liesse, pour moi et mon équipe de travail. Innover n’est pas toujours facile. On s’était lancé en se disant que c’était juste une aventure en soi, on va exposer notre projet, mais finalement, on s’est rendu compte que ça intéressait le CRITESS et c’était vraiment une joie.

Eunice : Au début, comme l’a dit Myriam, c’était genre un jeu. On se disait, on se lance, on voit ce que ça va donner. Et voilà, nous avons été sélectionnés par le CRITESS et nous avançons ensemble avec joie.

Le paludisme fait encore environ 400 000 morts chaque année dans le monde et vous proposez une alternative aux insecticides chimiques? Est-ce que vous pourriez nous exposer votre projet en quelques mots?

Myriam : Le paludisme est causé par les parasites du genre Plasmodium, de différentes espèces (falciparum, malariae, etc.). Et tous ces parasites sont transmis à l’homme par l’intermédiaire de moustiques du genre Anopheles. L’OMS pour lutter contre ces vecteurs de paludisme a préconisé deux alternatives. La pulvérisation intra domiciliaire avec des insecticides et l’utilisation de moustiquaires imprégnées. Mais la pulvérisation intra domiciliaire demande de déployer des agents dans la ville, et dans un pays en développement comme le nôtre, la République démocratique du Congo, c’est un problème. En effet, il faut des équipements de protection pour eux. En plus de tout cela, ce sont de produits chimiques, toxiques pour la santé de l’homme et celle de l’environnement. Avec l’arrivée des moustiquaires imprégnées, on se sentait un peu soulagé. Mais malheureusement, il y a un autre problème. Les moustiques ont développé des résistances. On a alors regardé notre flore. On a des plantes partout à Kinshasa. Pourquoi ne pas les utiliser comme moyen de contrôle bioécologique? Voilà pourquoi on s’est lancé dans l’étude des plantes et surtout dans la nanotechnologie. En effet, il y a déjà des nanoparticules métalliques qui sont rapportées dans la littérature comme possédant des propriétés larvicides pour tuer ces vecteurs. Notre projet est donc de bio synthétiser des nanoparticules métalliques à partir des plantes de notre environnement et de mettre au point une formulation pharmaceutique.

Comment avez-vous été amenées à travailler ensemble sur ce projet?

Myriam : Eunice et moi appartenons au même groupe d’études « Work for Excellence » qui réunit des étudiants de différentes promotions de la faculté. Dans ce groupe, on se connaît très bien. Je connais ses capacités. Elle aime la galénique, la science qui s’intéresse à la formulation des médicaments. Moi également, et donc, du coup, cette interaction nous a permis de former ensemble une belle équipe.

Qu’est-ce qui vous a incité à travailler dans les sciences pharmaceutiques et dans ce domaine très particulier des sciences de la santé en lien avec l’environnement?

Myriam : Ma motivation pour les sciences pharmaceutiques date depuis très longtemps. Toute petite, j’avais peur des médicaments, des hommes et des femmes en blouse blanche. A l’époque, j’étais très malade et je devais chaque fois passer par l’hôpital. Je me disais ‘’quand je vais grandir, je fabriquerai des médicaments pour faire du mal à tous ces gens-là ?’’, alors qu’ils ne me voulaient que du bien en réalité. C’est comme ça que j’ai grandi. Je lisais les notices de mes médicaments. Je connaissais les médicaments par cœur, leur odeur, leur goût… Je voulais devenir médecin parce que dans ma tête, c’était le médecin qui fabriquait le médicament, qui faisait tout à l’hôpital. Quand je suis arrivée au lycée, mon conseiller d’orientation m’a dit « Tu veux devenir un médecin qui fabrique des médicaments, mais ça n’existe pas. Tu veux plutôt devenir un pharmacien. Tu dois te lancer, tu dois foncer. » Et c’est là que j’ai été vraiment motivée pour les sciences pharmaceutiques.

Eunice : Mon rêve de devenir agent de la santé date depuis longtemps aussi. Mon père est un médecin et ma mère une infirmière. J’aimais la façon dont on prenait soin de nous, et mon premier rêve était d’être médecin. Ensuite, j’ai découvert les sciences pharmaceutiques, je ne savais pas en soi ce que ça voulait dire. Je voyais d’abord les médicaments. Je ne savais pas qu’il y avait la galénique, la microbiologie et en ayant suivi des formations et des cours, j’ai compris qu’il y avait plusieurs domaines dedans et je me suis intéressée à la galénique. J’avais même formulé une pommade à base d’huiles végétales avec une activité anti pelliculaire et antichute de cheveux. Et puis, j’ai découvert des plantes avec d’autres propriétes thérapeutiques.  Il y a beaucoup de plantes dans notre pays, mais leurs propriétes ne sont pas toutes connues. On ne peut pas toujours recourir à la médecine moderne. On ne peut pas toujours recourir aux médicaments qui polluent la nature. Il faut valoriser ce qu’il y a dans notre pays. C’est important.

Quels sont selon vous les principaux obstacles à surmonter pour tracer votre voie dans les sciences?

Eunice : c’est d’abord la peur de soi, puisqu’on se dit « Nous sommes dans un milieu où il y a beaucoup d’hommes. Il y a beaucoup de connaisseurs, des hommes de sciences. Et nous, les femmes, quelle sera notre place dans ce milieu? » D’abord, enlever cet esprit de peur, prendre courage, avancer. Il y a beaucoup d’autres obstacles comme notre culture africaine. Il y a des parents qui se disent la femme, sa place est en famille, à la maison. C’est le mariage, ce n’est pas l’école. Et pourquoi faire autant d’études pour être professeur? En fait, ils craignent notre façon d’être, notre façon de nous comporter en famille, ils se disent qu’on doit garder nos coutumes traditionnelles.

Myriam : La difficulté, c’est d’évoluer dans un monde où les hommes dominent et où on t’observe : “comment cette femme peut-elle foncer dans les sciences? Elle sera compliquée à vivre. Elle va commencer à dominer les hommes!”. En fait, c’est une socialisation qui est genrée. On se dit que la femme doit rester à la maison, elle doit rester à la cuisine. C’est compliqué pour nous, mais on se donne quand même le courage. On se dit qu’on doit avancer parce que la science a besoin de nous. Donc, malgré cette peur, malgré cette socialisation genrée, nous, on veut rester dans les sciences. On veut s’intégrer dans les sciences.

Quels sont les soutiens sur lesquels vous avez pu vous appuyer pour avancer, justement?

Myriam : Mon premier soutien, c’est de voir des femmes exemplaires dans les sciences. A la faculté, on a une vice-doyenne chargée de l’enseignement et une secrétaire facultaire. Ce sont deux femmes qui m’encouragent énormément. Je vois aussi ma maman qui est une femme dans les sciences. Tous ces modèles-là me motivent. Aussi voir les anciennes expérimentations réalisées par des femmes, comme celle de Mme Tu Youyou, la Chinoise qui nous a donné l’artémisinine. Aujourd’hui, on l’utilise comme un antipaludique très efficace. Ma grand-mère qui a 86 ans est capable de te dire que sur ce sol, il y aura une semence. Imaginez un peu si elle était agronome ! On voit des femmes capables de dire aujourd’hui, même si le ciel est nuageux, qu’ il ne va pas pleuvoir. Ça signifie qu’il y a quelque chose d’inné chez les femmes. Donc, on doit motiver les femmes. Surtout nous, parce que demain nous donnerons naissance à nos filles.  Et nos filles, en nous voyant comme modèles, elles vont également se lancer dans les sciences.

Eunice : Moi, j’ai été motivée premièrement par ma marraine, professeur d’histoire et aussi secrétaire générale d’une université de mon pays. Elle m’avait dit de ne pas baisser les bras, de ne pas me minimiser, de croire en mes compétences, en mon intelligence, pour faire mieux. Ensuite, il y a ma mère. Quand je la vois travailler dur, profiter de son salaire, elle est très contente et je vois qu’elle s’était sacrifiée avant pour avoir tout ça, pour être une personne autonome. Il y a aussi les femmes dont a parlé Myriam à la faculté et d’autres professeurs qui sont des femmes. Je me dis pourquoi ne pas être comme elles? Il suffit juste de croire en nos potentialités et de les exprimer.

Nous sommes à la veille de la Journée internationale des femmes et des filles de science. Qu’est-ce que vous aimeriez dire à d’autres jeunes filles pour les inciter à s’engager dans des études et des métiers scientifiques?

Eunice : Ce que je dirai aux femmes et aux autres filles de science, c’est de prendre courage, de ne pas s’arrêter aux différents obstacles qui se présentent dans la vie, d’avancer sans crainte et surtout d’avoir cette passion de bien faire des choses, de bien exploiter ses potentialités et de toujours être persévérante, et de se dire toujours qu’elles sont capables de grandes choses.

Myriam : Je dirais aux filles qu’il ne faut pas partir du principe selon lequel ça ne vous intéresse pas, que vous n’y comprendrez rien, que ça ne marchera pas. On a tous des potentialités qui sont innées. J’aimerais aussi inciter les parents à jouer leur rôle dès le bas âge. C’est cette socialisation genrée qui a démotivé beaucoup de filles… Et nous, les filles, on doit foncer parce que demain on aura des filles. On doit servir de modèles pour qu’elles puissent s’intégrer. Parfois, on regarde là où on met les pieds. Si je vois qu’il y a plein d’hommes, je me dirai peut-être qu’on me mettra à l’écart. J’aurai peut-être des doutes sur mon intégration. Mais si je vois beaucoup de femmes devant, je dirai il y a des modèles pour moi. Je dois me lancer, je dois avancer.