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Interview de Samir Abdelkrim, fondateur d’EMERGING Valley, le sommet Europe-Afrique sur l’innovation

Fondateur d’EMERGING Valley – le sommet Europe-Afrique sur l’innovation, dont la 4ème édition s’est récemment tenue en France-, et de StartupBRICS – un média en ligne dédié à l’actualité Tech et aux entrepreneurs des pays émergents -, et par ailleurs auteur d’un livre sur la tech africaine ‘Startup Lions’, Samir Abdelkrim nous parle des nouvelles tendances, des enjeux et des défis de l’innovation africaine dans le contexte de la pandémie Covid-19.

 

Quel bilan pouvez-vous tirer de la 4ème édition d’Emerging Valley? Avez-vous pu observer de nouvelles tendances ou de nouveaux enjeux se dessiner pour l’innovation africaine ?

 La 4ème édition d’EMERGING Valley, inédite par son format 100% digital comme par son contexte, souhaitait répondre à deux impératifs : celui de la résilience, qui a été le fil conducteur du sommet, mais également celui du rassemblement, après une année éprouvante pour nos écosystèmes. En rassemblant 2 300 participants et 210 speakers sur deux jours, à travers 45 pays, nous sommes parvenus à « déconfiner » l’échange et le débat autour des grands enjeux du digital Afrique-Europe. Le partenariat inclusif et durable autour du digital entre les deux continents, le renforcement des alliances entres startups et entreprises par les stratégies d’innovation ouverte, le futur de l’entrepreneuriat féminin, la percée des industries créatives et culturelles africaines ou encore le maintien des niveaux d’investissements du capital risque africain face à la Covid-19 sont autant de sujets que nous avons mis en valeur pour cette 4ème édition, et qui font les grands enjeux de la tech africaine d’aujourd’hui et de demain.

 Quel est l’impact de la Covid-19 sur les startups africaines ?

Comme partout ailleurs, la pandémie s’est abattue très violemment sur le continent africain, pas tant en terme sanitaire aux vues des chiffres enregistrés, mais davantage en termes économique et social. L’économie internationale et les échanges, dont l’Afrique est si dépendante, se sont affaiblis considérablement, avec un fort impact indirect sur la société civile africaine. Il est toujours très difficile de mettre en place des confinements dans ces sociétés où le travail informel est à la base de l’économie : il y a moins d’argent dans le système et on peut s’attendre à ce que beaucoup de gens perdent leur travail. L’impact est donc réel, et les écosystèmes Tech ne sont pas isolés du reste de l’économie, bien au contraire : leurs startups dépendent pour beaucoup des carnets de commande des Petites et Moyennes Entreprises, qui ont été très affectées par la pandémie. Cependant, la crise a aussi été un révélateur de résilience pour les entrepreneurs Tech du continent, qui ont une fois de plus démontré toute leur agilité et leurs capacités de rupture (disruption).

On a en effet assisté à un formidable élan de mobilisation des communautés Tech africaines, et en premier lieu des ‘Makers’, qui de l’Université de Pretoria, au mouvement congolais « Masques pour tous », en passant par les makers algériens et marocains ou les étudiants tunisiens, ont fabriqué au pied levé  dans leur FabLabs et autres PrintFarms des masques et des pièces de respirateurs, offrant ainsi une aide précieuse aux personnels soignants et aux services de santé. 

Quelles sont les opportunités à saisir (les secteurs les plus porteurs), et les plus grands défis à relever?

Cela a déjà été beaucoup commenté, mais la Covid-19 a joué un réel rôle de catalyseur pour le digital, et on a assisté à une digitalisation à marche forcée des entreprises sur tous les secteurs de l’économie. La dématérialisation a ainsi joué un rôle de moteur pour de nombreux secteurs, avec en première ligne celui de la ED-Tech (Education Technology) qui s’est mobilisé pour un accès continu à l’éducation avec de très nombreux apprentissages gratuits sur Internet. Les solutions de formation et d’assistance au travail en ligne se sont multipliées. De même, le secteur du divertissement semble s’affirmer de manière impressionnante, avec ses plateformes de streaming (difusions en direct) et de gaming (jeux en ligne) en tête, même si cela ne concerne malheureusement que la partie connectée de la planète. Et cette faible connectivité, notamment des zones rurales, sera certainement le plus grand défi à relever dans les années à venir.

La FinTech et la e-santé font également partie des secteurs les plus porteurs. Les solutions de Mobile Money ont ainsi été décisives dans l’adoption de gestes barrières, et les leaders du Mobile Money en Afrique n’ont pas hésité à baisser leurs tarifs de transactions – voir à les supprimer complètement – pour contribuer à la lutte contre le Coronavirus. Côté e-Santé, la résilience et la capacité à se réinventer de nombreuses startups sanitaires a créé une réelle preuve de concept de leur efficacité, qui s’est traduite en chiffres par d’impressionnantes levées de fonds réalisées par le secteur malgré la pandémie. À suivre donc !

Quel est l’avantage comparatif des startups africaines par rapport aux autres ?

 On dit souvent que les meilleures innovations naissent de frustrations. Créer à partir de rien et évoluer dans un milieu où le secteur public est très lacunaire et où tout est à réinventer, en permanence, a créé un état d’esprit unique au sein des communautés africaines. Un concept que j’ai théorisé et décrypté dans mon ouvrage, “Startup Lions,au coeur de l’African Tech”¹, et baptisé « l’innovation organique ». Créer avec peu, rapidement et de manière ultra-fonctionnelle pour répondre à des besoins immédiats en proposant des services abordables à toutes les bourses : ce sont les contraintes très nombreuses qui pèsent sur ces entrepreneurs et vous comprendrez aisément que les solutions qui percent et émergent de ce type d’univers sont de véritables fusées, des innovations inspirantes et fondamentalement sociales ! Des avantages comparatifs qui sont de plus en plus valorisés par nos sociétés.

L’objectif d’EMERGING Valley, en réunissant des acteurs clefs de l’innovation d’Afrique et d’Europe, est de créer des passerelles entre les deux continents. Pourriez-vous nous donner des exemples de projets concrets qui matérialisent ces ponts ?

Les entrepreneurs et projets qui définissent le mieux cette relation, vous les retrouvez à EMERGING Valley : que ce soit Ange Frédérick Balma, qui déploie depuis Marseille avec sa société Sinilux des solutions d’efficacité énergétique et d’accès à la connectivité haut débit dans les zones grises et blanches à travers de nombreux pays africains, mais aussi en France et à Haïti, Jean-Marc Philip et sa société Oshun, soutenue par le territoire Aix-Marseille-Provence pour développer en Afrique de l’Ouest des solutions d’accès à l’eau potable, ou encore le programme « Partenariat Afrique-Europe pour l’innovation» de la Commission européenne, notre partenaire sur cette édition, qui renforce les coopérations entre les tech hubs européens et africains, la pertinence de l’alliance Europe-Afrique du digital est partout !

 Qu’est-ce qui manque aux écosystèmes d’innovation d’Afrique pour être à la fois plus inclusifs et efficaces ?

 Visibilité, soutien financier et renforcement des partenariats, mais nous y travaillons depuis 4 ans déjà, avec le soutien de nos partenaires historiques du territoire Aix-Marseille-Provence, et au travers de projets comme EMERGING Valley, le SIBC (Social & Inclusive Business Camp) ou EMERGING Mediterranean : les choses vont dans le bon sens !

 Quels sont les écosystèmes d’innovation les plus inspirants que vous avez découverts en Afrique, et qui pourraient être réplicables dans d’autres pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique?

Je vous invite à découvrir (ou redécouvrir !) tous ces écosystèmes sur les replays de la Conférence disponibles sur notre chaine YouTube  : Afrique-du-Sud, Algérie, Libye, Gabon ou encore Djibouti. Tous débordent d’idées et de propositions digitales à fort potentiel. Vous rencontrerez ces écosystèmes tech issus des quatre coins du continent, directement présentés par leurs acteurs de référence. Comment passer à l’échelle continentale pour une startup africaine, monter son business dans un pays en crise, accélérer l’inclusion sociale par le digital ou encore comment exploiter les données pour les startups : autant de problématiques partagées par nos écosystèmes et dont les réponses venues du terrain sont sans aucun doute potentiellement réplicables dans les Caraïbes et le Pacifique.

Rediffusions de la Conférence

¹Entre 2014 et 2018, Samir Abdelkrim a sillonné l’Afrique de l’innovation et analysé les écosystèmes numériques de 25 pays africains. Une expérience terrain dont il a tiré le livre ‘ Startup Lions, au cœur de l’African Tech’.