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Interview de Myrna Cunningham à l’occasion de la Journée internationale des peuples autochtones

Myrna Cunningham Kain est une militante des droits des peuples autochtones, de renommée internationale, qui a servi leur cause d’innombrables façons, notamment en tant que présidente de l’Instance permanente de l’ONU sur les questions autochtones, ainsi que conseillère du président de l’Assemblée générale de l’ONU lors de la Conférence mondiale sur les peuples autochtones qui s’est tenue à l’ONU en 2014. Elle travaille en tant que praticienne de santé publique auprès de la population autochtone Miskitu sur la côte atlantique du Nicaragua, dont elle est originaire, et elle collabore avec l’OPS/l’OMS sur les questions liées à la santé des peuples autochtones depuis 25 ans. Elle est actuellement présidente du Fonds pour le développement des peuples autochtones d’Amérique latine et des Caraïbes (FILAC) et présidente du Fonds PAWANKA.  A la veille de la Journée internationale des peuples autochtones du monde qui sera célébrée le 9 août, elle nous donne un éclairage précieux sur le statut des peuples autochtones et la reconnaissance de leurs savoirs traditionnels.

 

Quelles sont les évolutions les plus positives que vous avez constatées ces dernières années concernant le statut des peuples autochtones et la reconnaissance de leurs connaissances traditionnelles ?

Il y a eu des avancées importantes dans la reconnaissance des droits des peuples autochtones au niveau mondial. Nous disposons de normes internationales solides et la reconnaissance de nos droits collectifs est une chose qui ne peut être remise en question. La déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la convention de l’OIT sont les bases de ces normes internationales. Mais le grand défi reste leur mise en œuvre au niveau national, ainsi que la criminalisation croissante des défenseurs des droits de l’homme, lorsque nous élevons nos voix pour défendre nos terres, nos territoires et nos ressources.

La reconnaissance des connaissances traditionnelles est quelque chose que nous avons promu ces trente dernières années, et le fait que la plateforme des communautés locales et des peuples autochtones ait été reconnue dans l’accord de Paris sur le changement climatique est une étape importante, car elle ouvre la voie à une discussion inter-scientifiques, entre les représentants des États membres et les représentants des peuples autochtones. 

Grâce à nos connaissances traditionnelles, nous avons des solutions pour faire face à un grand nombre de crises actuelles. Mais ces connaissances et nos innovations ne sont toujours pas prises en compte. La science moderne ne tient pas compte du fait que les bases de ses avancées reposent dans de nombreux cas sur les connaissances que nous avons développées en tant que peuples autochtones au cours de l’histoire.

Et comment mieux prendre en compte ces connaissances indigènes ?

La première chose à faire déjà, c’est de la science ouverte. Nous avons besoin d’espaces où nous pouvons réellement nous asseoir entre scientifiques de différents systèmes de connaissances et commencer à discuter de la manière dont nous pouvons résoudre, par exemple, le problème du changement climatique. Vous savez que nous sommes actuellement impliqués dans les discussions sur les systèmes alimentaires, qui se sont avérées être l’une des questions importantes dont nous pouvons discuter entre détenteurs de connaissances, entre différents scientifiques.

Mais nous avons également commencé à ouvrir des discussions avec des scientifiques qui travaillent dans le domaine spatial, par exemple. Nous pensons que les connaissances traditionnelles des peuples autochtones peuvent également enrichir les scientifiques qui travaillent dans le domaine des sciences de la terre ou de l’intelligence artificielle, parce que nous voyons les différentes innovations que les peuples autochtones mettent en œuvre pour s’adapter au changement climatique, pour maintenir la biodiversité sur leurs territoires, pour produire plus de nourriture.

Donc je pense qu’il est important que nous créions ces espaces  au sein desquels nous pouvons nous asseoir ensemble, respecter nos différents systèmes de connaissances pour commencer à identifier les innovations et reproduire les actions d’adaptation qui sont prises par les communautés. Les banques de semences traditionnelles, nos innovations et systèmes de production, ce que nous faisons en termes de médecine traditionnelle… Aux Nations unies, ils ont créé une plateforme et un forum qui se réunissent chaque année pour discuter de la façon dont la science et l’innovation peuvent soutenir la mise en œuvre des ODD. C’est un espace où nous essayons d’ouvrir le dialogue inter-scientifiques, mais il n’est pas encore ouvert. Nous avons également encouragé, dans le cadre des discussions autour du Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires, la possibilité de rencontrer la communauté scientifique qui soutient le Secrétaire général sur cette question.

Il y a donc quelques ouvertures, mais nous avons besoin de beaucoup de travail de la part de la communauté scientifique moderne, car elle ne respecte pas encore assez notre système de connaissances.

Comment les systèmes de connaissances autochtones et la science moderne pourraient-ils se compléter et quelles garanties devraient être mises en place pour assurer une situation gagnant-gagnant pour les deux parties ?

Par exemple, il existe des cas où les peuples autochtones utilisent des drones pour surveiller et lutter contre la déforestation de leurs territoires. Quels garde-fous pouvons-nous mettre en place, si nous utilisons des drones, de la technologie ? Le premier est que ceux qui devraient apprendre à utiliser les drones soient les membres de la communauté. Nous ne gagnons rien avec une technologie sans  impliquer les membres de la communauté, sur la base d’un consentement préalable libre et éclairé pour l’utiliser.

Et bien sûr, une autre garantie est liée aux programmes, aux politiques et aux ressources. Parce que nous pouvons avoir quelque chose d’intéressant comme l’application de cette innovation, les autochtones sont ceux qui vont la surveiller et la gérer, et si cela ne fait pas partie d’un programme gouvernemental, et n’a pas de ressources, alors ce ne sera pas durable.

Quels avantages les femmes autochtones peuvent apporter pour relever les défis du développement durable et quels sont les facteurs qui pourraient les soutenir en tant qu’agents du changement ?

Il y a environ 185 millions de femmes autochtones dans le monde. Au niveau mondial, il existe un consensus sur le rôle important que jouent les femmes autochtones pour résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés sur nos terres, nos territoires et par rapport à nos ressources. Les femmes autochtones sont les gardiennes des systèmes de connaissances autochtones. Nous possédons des informations essentielles à la survie de notre culture, mais aussi des connaissances qui nous aident à préserver la biodiversité de nos terres, de nos territoires et de nos ressources.

Quels sont donc les facteurs qui pourraient renforcer ce rôle d’agents du changement?

Le premier est bien sûr l’éducation. Si nous pouvons accroître la participation des femmes autochtones au niveau du système éducatif, elles auront bien sûr plus d’occasions de partager ce système de connaissances issu de leurs communautés.

Les organisations de femmes indigènes constituent un autre facteur favorable. Lorsqu’elles se réunissent en tant que femmes autochtones, elles tentent de résoudre les problèmes auxquels elles sont toutes confrontées. Et si elles se réunissent par le biais de réseaux au niveau mondial, elles peuvent également accroître leur propre capacité de partage des connaissances. Par exemple, le Forum international des femmes autochtones a pu rassembler des chercheuses autochtones des sept régions socioculturelles du monde et, ensemble, elles ont défini des méthodologies qui leur permettent non seulement de rassembler des preuves, mais aussi d’impliquer les membres de leurs communautés dans la résolution des problèmes auxquels elles sont confrontées. 

Les échanges sont un autre facteur favorable. Si des femmes de différentes régions du monde peuvent se réunir, elles peuvent constater qu’elles sont confrontées à des problèmes similaires et apprendre les unes des autres.

Le quatrième facteur est que nous avons besoin de politiques à différents niveaux. Le fait que la Commission de la condition de la femme des Nations unies ait approuvé des résolutions qui reconnaissent le rôle des femmes autochtones, le fait que d’autres organes des Nations unies aient reconnu que les femmes autochtones sont des détentrices de savoirs, tout cela aide les femmes autochtones à revenir dans leurs pays et à promouvoir des politiques nationales qui leur permettent de réellement appliquer leurs savoirs traditionnels.

Un dernier facteur à prendre en compte, ce sont les pratiques de guérison des femmes autochtones. Elles sont confrontées à de nombreuses violences, mais nous avons été capables d’appliquer la spiritualité comme une composante importante de nos systèmes de connaissances et, grâce à ces pratiques spirituelles, nous avons pu surmonter l’impact de la violence et devenir des détentrices de connaissances, fières de notre langue, de nos systèmes de connaissances, fières de ce que nous sommes, ce qui nous aide à appliquer réellement nos systèmes de connaissances traditionnelles.

 

(Copyright UNESCO)

Malgré la valeur reconnue des perspectives et des connaissances autochtones, les établissements d’enseignement n’ont pas procédé aux changements nécessaires pour intégrer avec succès les connaissances autochtones. Que pourrait-on faire pour remédier à cette situation?

Ce que nous avons essayé de faire, c’est de promouvoir un type différent de systèmes éducatifs. Des systèmes éducatifs qui ne reconnaissent pas seulement la langue, car il existe parfois des programmes bilingues, mais des systèmes éducatifs qui associent les détenteurs de savoirs traditionnels aux enseignants modernes conventionnels. En Amérique latine, nous avons ce que nous appelons l’Université interculturelle autochtone, et une partie de ce système consiste à faire venir en classe des détenteurs de savoirs traditionnels. Et ce sont eux qui partagent leurs connaissances, au même niveau que d’autres universitaires conventionnels. Nous essayons donc de créer un environnement dans le système éducatif qui accorde la même valeur aux détenteurs de connaissances traditionnelles.

L’autre chose dont nous avons besoin est une révision des programmes d’enseignement. Nous ne devons pas considérer les connaissances traditionnelles comme un appendice de l’éducation. Elles devraient être intégrées dans l’ensemble du programme que les étudiants suivent, sous différents thèmes. Et, bien sûr, nous devons continuer à éduquer sur les droits collectifs, sur la culture indigène, si nous voulons parler de complémentarité, nous avons besoin que le système éducatif soit axé sur une approche basée sur les droits de l’homme.

Par ailleurs, par exemple ici au Nicaragua où je vis,  notre système éducatif bilingue a développé des données désagrégées par différents peuples indigènes, et pas seulement par sexe, car cela est également important pour la définition des politiques dans le système éducatif.

Quel est votre message pour la Journée internationale des peuples autochtones du monde ?

C’est une journée internationale au cours de laquelle nous essayons de construire une relation avec les autres. Si nous voulons survivre en tant qu’humanité, nous devons travailler ensemble. Nous voulons travailler avec d’autres institutions, d’autres organisations, d’autres parties prenantes. Nous sommes tous dans le même bateau et nous devons faire face aux problèmes ensemble, en nous respectant mutuellement.

 

Vous trouverez ci-dessous les liens vers cinq extraits de son interview video :

– Les évolutions les plus positives concernant le statut des peuples autochtones et des connaissances traditionnelles : https://youtu.be/fugefoETSsY

– Comment les systèmes de connaissances autochtones et la science moderne pourraient se compléter, dans une situation gagnant-gagnant : https://youtu.be/iXnHmZ7FEzY

– Quels avantages les femmes autochtones peuvent-elles apporter pour relever les défis de la durabilité et quels sont les facteurs favorables qui pourraient les soutenir en tant qu’agents du changement : https://youtu.be/JLR5C8a8DcM

– Qu’est-ce qui pourrait être fait pour mieux intégrer les connaissances autochtones dans les systèmes éducatifs: https://youtu.be/rVa-8ILliRI

– Message à l’occasion de la Journée internationale des peuples autochtones du monde : https://youtu.be/Awq8T0n_1ok