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Entretien avec Vincenzo Lorusso sur la coopération digitale entre l’Europe et l’Afrique dans le cadre du nouveau programme d’innovation conjoint UA-UE

Vincenzo Lorusso, gestionnaire de politiques de coopération à la Commission européenne (Direction générale de la recherche et de l’innovation), est l’un des architectes du Programme d’innovation conjoint entre l’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE) : l’Agenda Innovation UA-UE, adopté le 19 juillet 2023. Soutenu, du côté de l’UE, par le Global Gateway, ainsi que par Horizon Europe, ce programme représentera le pilier de la coopération en matière de science, de technologie et d’innovation entre l’Afrique et l’Europe pour la prochaine décennie. Il prévoit des actions à court, moyen et long terme dans les quatre domaines prioritaires communs de la recherche et de l’innovation entre l’UA et l’UE, à savoir : (i) la santé publique; (ii) la transition écologique (qui englobe la sécurité alimentaire et nutritionnelle et l’agriculture durable, ainsi que le changement climatique et l’énergie durable) ; (iii) l’innovation et la technologie ; et (iv) les capacités scientifiques ainsi que dans le domaine supplémentaire des (v) thématiques transversales. Vincenzo Lorusso nous parle de cette initiative ambitieuse et sans précédent qui vise à promouvoir la traduction des efforts de recherche et d’innovation en produits, services, entreprises et emplois, en Afrique et en Europe, et plus spécifiquement de la coopération digitale entre les deux continents.

Quel rôle les technologies numériques jouent-elles dans l’Agenda Innovation conjoint UA-UE ?

Les technologies numériques jouent un rôle essentiel dans la coopération en matière de science, de technologie et d’innovation entre l’Afrique et l’Europe.  Si nous examinons les cinq domaines des lacunes et de besoins identifiés dans l’Agenda Innovation UA-UE (regroupés dans les sections “A”, “B”, “C”, “D” et “E”), la section C sur “l’échange de connaissances, y compris le transfert de technologie” mentionne l’importance de créer un environnement propice pour favoriser un transfert de technologie volontaire et mutuellement consenti, et soutenir l’adoption par le marché de technologies innovantes, par des actions conjointes dans des domaines pertinents tels que la logistique, les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, la sylviculture durable, la navigation maritime, l’économie circulaire, les technologies de la santé et le numérique, ainsi que l’agriculture, l’agro-transformation, l’agroécologie, l’hydrogène vert et les services climatiques pour la réduction des risques. La section E, consacrée au “développement des capacités humaines” , mentionne la nécessité d’améliorer et d’intégrer la culture numérique et la digitalisation dans toute l’Afrique.

Le programme a fixé quatre objectifs pour combler ces lacunes et répondre aux besoins en favorisant et/ou en renforçant les écosystèmes d’innovation afin d’améliorer l’impact socio-économique positif sur le terrain, grâce à l’échange de connaissances, de technologies, de compétences, de ressources humaines et d’expériences entre les pays de l’UA et de l’UE et au sein de ces pays. L’objectif n°2 (“Générer un impact par la conception”) mentionne spécifiquement l’importance de viser des transitions jumelles justes – c’est-à-dire numériques et vertes – à la fois en Afrique et en Europe.

Si l’on passe des objectifs aux actions, plusieurs d’entre elles reconnaissent également l’importance des technologies et des innovations numériques et digitales. Parmi les deux actions à court terme pour la santé publique, la première vise à soutenir la transformation des résultats de la recherche et de l’innovation en matière de santé en produits, orientations politiques et services pertinents, y compris les innovations médicales, numériques, technologiques et sociales ayant des applications dans les soins de santé. La seconde action vise à élaborer des agendas conjoints de recherche et d’innovation sur les priorités en matière de santé, en utilisant des technologies clés et émergentes telles que la génomique, la digitalisation, l’internet des objets, la robotique et l’intelligence artificielle.

Dans le domaine prioritaire de l’innovation et de la technologie, une action à court terme mentionne l’importance d’utiliser la digitalisation et l’intelligence artificielle comme catalyseurs transversaux. Et dans les actions à court terme pour les capacités scientifiques, la quatrième action fait référence à l’importance de favoriser le développement de systèmes d’éducation numérique performants et d’améliorer les aptitudes et les compétences numériques pour la transformation digitale.

Ensuite, lorsque nous abordons les actions à moyen terme, il y a spécifiquement une action, la première dans le domaine prioritaire de la transition écologique, qui promeut les applications numériques dans les technologies vertes, afin de renforcer la résilience et l’adaptation au changement climatique et de donner un élan à l’agriculture et à la production agroécologique, ainsi qu’à l’aquaculture, à la santé et à la transformation et à la consommation durables des aliments.

Enfin, si nous passons du moyen au long terme, une action spécifique dans le domaine de l’innovation et de la technologie mentionne très clairement l’importance de veiller à ce que la transformation numérique soutienne la diffusion des connaissances, par exemple en encourageant la connexion avec l’Open Science Cloud européen.

  Le rôle des technologies numériques et digitales est considéré comme essentiel dans la coopération entre l’Afrique et l’Europe en matière de science, de technologie et d’innovation. Il est inscrit, du côté de l’UE, dans la stratégie “Global Gateway”, dans l’ “Approche globale de l’UE en matière de recherche et d’innovation”  et dans la “Stratégie globale de l’UE pour l’Afrique”, et du côté de l’UA, dans la “Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique 2020-2030”  de la Commission de l’UA, ainsi que dans “l’Agenda 2063 de l’UA”  et dans la “Stratégie en matière de science, de technologie et d’innovation pour l’Afrique 2024  (STISA-2024)”.

 

Il existe déjà plusieurs projets et initiatives financés par l’UE dans le domaine de l’innovation numérique et digitale et des pôles d’innovation numérique qui contribuent déjà à la réalisation de ces ambitions, pour ne citer que quelques exemples, le « Pôle numérique pour le développement (D4D) », ou des projets Horizon 2020 tels que ENRICH in Africa, AEDIB | NET, DIGILOGIC, AfriConEU, entre autres.

 

Le nouvel Agenda Innovation conjoint UA-UE a été élaboré dans le cadre d’un dialogue très concerté impliquant une “équipe Afrique-Europe” dédiée, incluant la Commission de l’UA, la Commission européenne et les pays membres de l’UA et de l’UE, ainsi que des acteurs de la recherche et de l’innovation et des experts indépendants dans tous les secteurs des deux continents et au-delà.

 

Quels sont les principaux atouts de l’Afrique pour réussir la transformation digitale à l’échelle du continent ?

Ils sont étroitement liés à son capital humain, en plus des ressources globales sur lesquelles l’Afrique peut s’appuyer. Je dirais en premier lieu la créativité et l’esprit d’entreprise. Il s’agit d’atouts qui sont attribuables à la jeune population du continent africain. Un continent où 60 % de la population, soit plus de la moitié, a moins de 25 ans, est inévitablement un continent où la créativité et l’esprit d’entreprise sont très présents. Ces atouts sont étroitement liés les uns aux autres. Un autre atout est l’agilité de l’Afrique et sa capacité à s’adapter à des problèmes changeants. Dans notre monde en perpétuelle évolution, où les défis sont de nature globale, sans frontières, évoluant constamment d’un jour à l’autre, nous devons être prêts à faire face à l’inattendu et faire preuve d’adaptabilité, ainsi que de résilience. Dans ce contexte, une population jeune et créative comme celle de l’Afrique représente un grand atout, un espoir vivant face aux défis de notre temps et de l’avenir. Un autre élément que je voudrais mentionner est que, pour pouvoir prospérer, ces atouts doivent être soutenus par des infrastructures solides et durables. Nous devons en effet garder à l’esprit qu’il n’y a pas d’innovation numérique et digitale si certaines des principales infrastructures essentielles font toujours défaut en Afrique. Je pense par exemple à l’importance de garantir une fourniture, un approvisionnement et une production d’électricité continus et durables sur le continent. Il s’agit donc d’un élément dont il faut tirer parti afin qu’il devienne un atout pour le continent africain.

Que peuvent s’apporter mutuellement les deux continents en termes d’innovations induites par les technologies numériques ?

Je pense que votre question traduit très bien ce que nous commençons à voir à la lumière des deux événements que nous avons co-organisés avec nos partenaires africains au cours des derniers mois : l’ “Evénement des parties prenantes de l’Agenda Innovation UA-UE” (en novembre dernier à Nairobi) et le plus récent “Festival de l’innovation UA-UE” (juin dernier au Cap), où nous avons vu des centaines d’innovateurs venant à la fois d’Afrique, d’Europe et d’ailleurs. Nous pouvons tangiblement constater que le continent africain fait preuve de beaucoup d’ingéniosité, de créativité et d’agilité en ce qui concerne les outils numériques et digitaux, les applications et les logiciels qui sont développés pour répondre à plusieurs problèmes, pour n’en citer que quelques-uns : le changement climatique, la sécurité alimentaire, le stockage des aliments, la vente sur les marchés, ainsi que la fintech, ou la finance verte.

Il existe en Afrique une forte volonté de saisir les opportunités et de transformer les défis en capacités de produire des résultats. Avec la forte impulsion donnée par sa jeunesse créative !

Ce que l’Europe peut apporter à l’Afrique est lié, selon moi, aux infrastructures solides et durables, ainsi qu’à la durabilité au sens large, sur lesquelles l’Afrique peut s’appuyer, afin de tirer parti de sa créativité, à travers un partenariat Afrique-Europe tourné vers l’avenir, équitable et co-construit.